Situés dans la partie nord est du Panama sur la côte de la mer des Caraïbes, les indiens Kuna que nous apprécions particulièrement vivent une transition douloureuse qui devrait les transformer en profondeur.
Depuis 2007 et surtout 2010, la piste qui relie le Panama à la comarca de Kuna Yala (San Blas) est entrain de transformer en profondeur les îles des San Blas. Les indiens Kuna qui peuplent ces îles depuis un peu plus de deux siècles peuvent « enfin » se rendre à ciudad Panama en deux heures de taxi pour un prix bien moindre à celui de l’avion qui relie depuis de nombreuses années cette partie occidentale du Panama au reste du pays. Dans un premier abord on peut y voir un « progrès » certain, près de la moitié de la population Kuna habitant hors des îles des Caraïbes et justement à ciudad Panama sur la côte Pacifique.
Une piste a été taillée en pleine jungle tropicale à coup de bulldozers, traversant un territoire jusqu’alors vierge et qui devient tout doucement une voie d’accès véritable reliant les deux composantes de la communauté Kuna, les îliens et les terriens de la capitale. Nous mêmes en voyant la piste prendre vie en 2007, en l’empruntant en compagnie des Kunas, on se disait que le progrès arrivait même jusqu’ici. Par progrès on entendait les bons côtés de la chose… Depuis on constate que la réalité dépasse de loin les perspectives initiales et que la transformation de la société Kuna s’opère à la vitesse grand « V », proportionnellement à l’arrivée des flux plus qu’à l’échange de ces derniers. Car il faut bien reconnaître que cette piste est entrain de devenir une « sonde » une voie en sens unique et que déjà les effets pervers se font sentir.
Jamais on n’a vu autant de visiteurs, panaméens ou étrangers, arriver vers les îles. Des visites courtes, des fins de semaines, des vacances improvisées, des virées vers « le paradis » panaméen à moindre prix. Sur le territoire appartenant à l’île de Carti, sur le continent, se trouve le « terminal terrestre » par ou arrivent les innombrables 4×4 chaque jour, jusqu’à 300 un jour de carnaval. C’est devenu un véritable dépotoir à ciel ouvert, plus exactement à mangrove ouverte. Des immondices composées de poubelles plastique et boites aluminium de tout poil. Tout finit dans la mangrove car aucun service de ramassage de poubelles n’existe dans les îles et tan-bien même, les Kunas n’ont pas encore assimilé l’importance de conserver leur « paradis » en l’état. Certes la piste à du bon. Le malade peut enfin aller sur Panama city en quelques heures et se faire soigner. Certes les produits qui manquaient (…) sont enfin accessibles. Les moteurs hors bord fleurissent sur les Ulus (canoé taillé dans un arbre), l’essence arrive quotidiennement, l’huile moteur également, tout comme les touristes.
Le seul problème c’est l’emballage de tout ce beau monde, du plastique qui comme le disait un marin nord américain rencontré sur une île que nous nettoyions, « le plastique c’est tragique » et malheureusement pas fantastique comme dit la chanson. Les Kuna que l’on ne veut pas blâmer ici, ils sont chez eux, tentent de tirer profit de la situation comme ils le peuvent. Le pêcheur ne pêche plus, il construit une cabane sur l’île qu’il loue aux touristes venus chercher un dépaysement rapide. Du coup il a même du mal, le pêcheur, à trouver du poisson pour nourrir le dit visiteur qui vient justement pour en manger. Au lieu de servir la nourriture dans des assiettes normales que l’on lave et réutilise, ils sont devenus adeptes du polystyrène, venu tout droit de Panama City. Ces mêmes assiettes, verres etc.. jonchent les fonds marins pour des milliers d’années ou le temps qu’une tortue les mange et s’étouffe. La situation est entrain de démarrer à grande vitesse au point que nous, voyageurs ancrés depuis peu, le remarquions si facilement, Les diverses autorités alertées ne font rien car ne comprennent pas le problème. Depuis toujours dans ces îles, il suffit de jeter les détritus dans l’eau qui se charge de les faire disparaître, et c’est comme ça depuis que les hommes habitent cette côte. Bien ancré dans le subconscient populaire pour un bon moment. Le problème c’est que le détritus a changé. De peaux de bananes et autres Yucas on est passé au plastique, polystyrène et autres choses du même acabit et en grand nombre..
Le plus dur reste à venir. La piste et ses arrivées massives vont croitre de manière exponentielle dans très très peu de temps. En effet, le pont traversant la rivière a été mis en service en 2011 pour que les véhicules dits « normaux » puissent arriver jusqu’au bout., la route est ouverte désormais à tout et à n’importe quoi. Déjà le ciment remplace tout doucement les murs en bambous, les tôles ondulées commencent à fleurir sur les toits de palmes, téléphone portable et télévision s’imposent à grands pas… Heureusement ou malheureusement les anciens, les plus sages… retransmettent leur histoire orale dans les villages les plus traditionnels, dans leur langue Kuna qui est encore très largement parlée par tous les indiens. Les Kunas sont arrivés aux îles San Blas voici deux siècles et ont transformé fabuleusement leur biotope. Ils y ont permis la vie dans des îles exemptes de malaria. Tout y était propre, des cocotiers plantés permettaient leur subsistance, la terre cultivée sur la frange côtière littorale le long des rivières fournit encore la nourriture de base. Visionnaires, les anciens rappellent juste un détail, ils ne sont là (les Kuna) que provisoirement, car des que le niveau des eaux montera, ils devront repartir à la recherche d’un nouveau territoire.
Cocaïne au coin des plages.
Une partie chaque jour plus grande des Kunas prouvent leur capacités d’adaptation sans limites.. La contigüité des San Blas avec le Darien et la frontière de la Colombie et par la même la cocaïne a fait naître des habitudes nouvelles pour le moins.
Depuis quelques années les trafiquants colombiens testent avec succés une méthode de passage de leur production de la Colombie vers le Panama, sans trop de risques.
Des canots rapides fortement motorisés avec 4 fois 200 chevaux, partent la nuit des côtes de Colombie vers les îles des San Blas pour livrer la Cocaïne. Parfois les ballots de cocaïne sont largués en pleine mer, lestés de sacs de sel. Ces largages sont dus à la crainte de contrôles en mer par une des patrouilles panaméennes chargée de la lutte anti narcos, mais aussi une technique de livraison désormais éprouvée. Les dits ballots largués devant les îles des Kuna, finissent par s’échouer sur les plages au vent. Des petits paquets de un kilo, plastifiés, qui sont ramassés par les Kuna qui semblent être au courant des dates d’arrivages… Ces paquets sont ensuite rapatriés discrètement autour d’une des îles spécialisée dans ce trafic, rio Sidra, et revendues aux dealers panaméens en cheville avec les Colombiens. Revendues à petit prix, il va s’en dire. Ce petit trafic lucratif pour les Kuna, modifie encore plus que la piste, les habitudes de ces derniers. Tout d’un coup, le pêcheur ne pêche plus, le cultivateur ne cultive plus, il achète un panneau solaire, un moteur pour son Ulu, du rhum etc… tout le village sait ce qui se passe, il a « gagné à la loterie » c’est ainsi que l’on nomme le ramassage et revente de la cocaïne aux colombiens. Une loterie bien pratique permettant l’afflux régulier de devises dans ces populations démunies.
La ou le bat blesse c’est que depuis peu les jeunes Kunas qui ont gouté de la ville a Panama City goutent aussi de la cocaïne… Du coup les accrocs à la coca se font de plus en plus nombreux et un nouveau trafic pour consommation locale est entrain de s’installer. C’est ainsi que Chichime, une des îles d’arrivée des Backpakers qui rallient la Colombie au Panama et vice versa en voilier, s’approvisionnent en doses de 1 dollar le gramme. Ces doses sont fabriquées localement par ceux même qui encore voici un an étaient des pêcheurs et ramassaient des noix de coco qu’ils revendaient à 20 centimes de dollar l’unité.
Cette transformation radicale des habitudes ne trouve pas un écho favorable dans la majorité des îles mais existe d’autant plus qu’elle permet l’arrivée de billets verts qui font au Kuna Yala, la loi comme partout ailleurs.
José Arocena